-Mais vous n'avez pas le droit !
-Ah oui ? Et bien arrête moi, big boy. Fais moi voir ce qui arrive à ceux qui franchissent la ligne dans c'bled ! Allez, mon pote, vas-y, punis moi, j'ai transgressé les règles !

J'observe la scène de loin un petit calepin en main. Assis sur un fragile muret en bois. Oldstone Gulch, petit patelin perdu en plein milieu de l'île désertique de Redsand. Sous mon regard, une scène type : Le jeune criminel se pensant au dessus des lois face au vieux marchand impuissant, incapable de tenir tête à celui qui est en train de le dévaliser, et pas un uniforme de la Marine à l'horizon. Juste eux deux, moi, et quelques types qui regardent le tout, eux aussi tout autant impuissants que le vieil épicier. Et notre jeune braqueur, arme en main, canon pointé sur l'ancêtre, lui même désarmé, dans tous les sens du terme. Il ne pouvait rien faire. Il fait rien, il perd toute sa maille, il fait quelque chose, il se fait plomber. Un instant hors du temps, comme ça, où les deux se regardent, l'un avec le regard hargneux mais aussi et surtout avec une lueur de peur dans les yeux, une preuve de faiblesse. L'autre, confiant, prédateur et  prêt à tout. Ils sont là, au milieu des deux petites rangées de piaules délabrées, juste en face du saloon. Un Western, juste, un putain de Western. Cette scène est un cliché parfait, oui mesdames et messieurs, et si vous êtes pas content avec ça, j'ai envie de dire pas d'chance, parce que c'est pareil.

-C'est bien ce que je pensais.... Rah-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha !

Sur ce rire improbable, le voleur se retourne, et commence tranquillement sa marche en dehors de la ville, sans crainte. Il a un masque, mais je pense le reconnaître. Et si c'est qui je pense que c'est, ça vaut le coup que je m'en mêle. 'Tain.... On va encore me prendre pour un héros, et ça, ça fait chier.


-Hey gamin, ça t'dirais d'enlever ton masque ? T'as peur de quoi, qu'on se moque de ta sale gueule ?

Je lance ça, sans bouger de mon banc de fortune, adossé contre une barrière. Le masqué arrête sa marche, se retourne vers moi, et me lance ce regard mauvais. Rien à voir avec le petit jeu auquel il avait joué avec le commerçant. Il a vu le flingue à ma ceinture, sûrement autant qu'il a vu mon regard. J'étais d'un autre calibre qu'une bande de péquenauts dans un village sans défense perdu dans le trou du cul du monde qu'est Redsand. Et il le savait.

-Répête un peu voir, Cowboy ?
-J't'ai demandé d'enlever ton putain d'masque, fiston. T'es bouché en plus de ça ? Tu veux que je vienne élargir ton oreille d'une balle dans le tympan histoire de régler l'problème ?
-Tu commences à franchir une ligne que tu veux pas franchir, Cowboy. J'ai pas eu à vider ce joujou aujourd'hui, m'oblige pas à l'utiliser pour ta p'tite gueule mal rasée.

Dit-il en secouant le revolver entre ses mains.

-Hum... Si je te dis Daniel D. Lockstone, Primé à 3 millions pour vol, recèle, attaque à main armée, détournement de fond, responsable de la mort de plusieurs soldats de la Marine, gardes du secteur privé et autres civils innocents, tu me réponds quoi ?
-Fils de...

Bingo. Je savais bien que ce regard me disait quelque chose. Le livre que je lisais, c'était un Bingo Book. D'où le "bingo" au début de ma phrase. (c'est drôle hein ? Oui, ça l'est) Et c'était sur la page de monsieur ici présent que mes yeux étaient rivés pendant l'altercation. Halala, va encore falloir se la jouer justicier... Qu'est-ce que j'ferais pas pour 3 pauvres millions de Berrys. Je me lève, puis me place au milieu de du terrain, juste en face de notre tête primée. Dont les traits se retrouvent déformés par la colère. Il enlève son masque et le balance au loin dans un geste furieux, puis dégaine son arme, et pointe le canon vers moi. Merde alors, je voulais aussi placer le cliché du duel en mode temps de latence, yeux plissées, échange de regard long de trois putain de minutes et les deux pistoleros qui dégainent en même temps, tirent en même temps, tandis que l'un reste debout et que l'autre tombe dans une marre de sang. Il fait chier ce con. M'enfin, il tire bien, mais pas assez. à peine il avait commencé à lever son arme vers moi que j'avais dégainé, et que son épaule était dans ma ligne de mire.Ma balle qui vient se loger dans la clavicule au moment même où il appuie sur la détente. La douleur le fait dévier de sa trajectoire de tir, la balle passe loin sur ma droite pour venir percer le mur d'une baraque abandonnée quelques dizaines de mètres dans mon dos. Il lâche son arme, menace de s'écrouler avant de se reprendre. Un cri de douleur, suivi d'un cri de rage, le voilà qui pète un câble.

-TU CROIS QUE J'VAIS FINIR COMME CA DUGLAND ? NAN. Nan. Pas moyen. Tu crois que MOI. Daniel D. Lockstone, j'vais crever face à un putain d'chasseur de prime puis finir oublié d'l'histoire alors que j'commence à peine à prendre mon envol ?! Vas t'faire foutre ! Le D, mec, le D. J'ai le putain de D dans mon putain de nom, c'qui veut dire que j'ai une putain de Destin-.

Une balle qui vient lui traverser la gorge tandis qu'un flot de sang s'en échappe, transformant les mots qu'il tentait d'articuler en un tas de gargouillis incompréhensibles.

-Tiens, bizarre, pas de bouclier magique en forme de D qui est venu te sauver de celle-là.

J't'en foutrais d'la volonté du D, moi...