Faire le douanier n'était pas la mission la plus palpitante que l'on avait pu me confier depuis mon entrée dans la Marine, il y a un moment déjà. Mais il fallait parfois faire abstraction des tâches ingrates ou ennuyantes pour le bien de tous. Toujours accompagné de Steinar, nous avions passé ces derniers temps à surveiller la côte, ainsi que les vas et viens de différents navires. Peu de voyageurs ou marchands avaient en leur possession le sain Graal qui leur permettrait de débarquer sur Sparthienna. Nous étions donc la plupart du temps en train de refouler les arrivants, les dirigeants vers l'île suivante, sans aucune possibilité de négociation. Beaucoup nous demandaient la raison de ce déploiement de forces. La réponse, ils l'attendaient toujours.

Mais la routine vint se briser lorsque, alertés par des habitants, nous fûmes relevés de notre affectation de garde côte. Avant même de nous expliquer ce qu'il se passait, nous nous vîmes confier un contingent d'une dizaine d'hommes. Et nous apprenions très vite que quelque chose ne tournait pas comme prévu. Des têtes primées venaient de débarquer sur l'île. Ils avaient réussi à contourner notre vigilance, et avaient pénétrés nos lignes. L'équipage du capitaine Couss-Toh faisait route vers le château. Nous n'avions clairement aucune idée de leurs intentions. Tout ce que nous savions, c'est qu'ils étaient affiliés à Dampier. En d'autre terme, cela ne semblait pas être une bonne nouvelle.

C'est donc sans attendre que nous faisions route vers la demeure de Melvis Presse-Lait. Nous devions arriver avant que cela soit trop tard, avant qu'un désastre ne se produise. Il fallait absolument qu'on les intercepte.

« Steinar, tiens toi prêt. On peut tomber sur eux à n'importe quel moment. Et malheureusement nous n'avons aucune information sur eux. Fruit du démon ou autre, je ne connais pas leurs capacités, il va falloir être prudent. »

Le château était désormais tout proche, nous pouvions distinguer la grande porte principale, devant laquelle je pouvais distinguer des silhouettes. Amis ou ennemis ? D'ici impossible de le distinguer. Marchant en tête de l'escouade, je gravissais les marches qui menaient sur le parvis du château. Arrivé à quelques mètres du groupe d'individus, je les interpellais.

« Votre présence n'est pas autorisée ici. Veuillez décliner vos identités. »

Calys Couss-Toh, c'était donc bel et bien celui que l'on nous avait signalé. Mais visiblement, l'homme et son équipage ne semblaient pas prêt à coopérer. C'est d'un ton méprisant et hautain que le fidèle de Dampier nous défia, avant de dépêcher sur nous ses sbires. Il tourna aussitôt les talons, pensant sûrement que dix petites révolutionnaires allaient nous empêcher de mener notre mission.

« Je vous ordonne de ne pas faire un pas de plus ! Je vous laisse l'opportunité de vous rendre, n'abusez pas de notre patience ! »

Visiblement mes paroles tombèrent dans l'oreille d'un sourd. Très bien, nous allions donc devoir employer les grands moyens. D'un signe de la tête, je fis signe à Steinar qu'il avait champs libre pour laisser échapper sa hargne. Mais il fallait déjà se frayer un chemin au travers des petits soldats qui nous barraient la route. Je sortis mon aiguille de l'une de mes poches, m'écorchant volontairement les poignets avant de la placer au coin de ma bouche. Le sang commençait à ruisseler sur mes avants bras, et d'un geste rapide je formais une faux sur chacun de mes bras. Sans aucune hésitation je perforais alors les rangs des révolutionnaires, lacérant tous ceux qui osaient se placer sur mon chemin. Plusieurs d'entre eux virent leurs membres sectionnés par mes lames. Désormais plus rien ne nous séparait de Couss-Toh et son second.

« Steinar ! On doit les intercepter avant qu'ils ne produisent une catastrophe ! Matelots, occupez-vous de ces révos ! »

Sans perdre une seconde, probablement suivi du Vykingar, je fonçais droit vers les fuyards, gravissant les marches quatre par quatre. Ils devaient avoir pénétrés le château. Aucune trace d'eux. Arrivant dans ce qui devait être le hall, je cherchais du regard un quelconque indice. Les sons résonnaient énormément dans la pièce, et la source des quelques murmures que j'entendais n'était pas identifiable.

« Tiens toi prêt... ça sent l'embuscade à plein nez. »

La pièce, enfin le hall dans lequel nous nous trouvions grouillait de cachettes potentielles. Les deux révolutionnaires pouvaient se cacher n'importe où. Aucune possibilité non plus de savoir s'ils étaient tous les deux là, ou s'ils s'étaient séparés. Ils étaient probablement en train de nous surveiller, je sentais une présence dans les lieux. Steinar avait dégainé sa hache, et semblait prêt à en découdre. Il était un renfort de poids. Un homme tel que lui était né pour se battre. Et je pouvais lire sur son visage l'impatience d'en découdre avec les deux fuyards.

Et l'attente fut de courte durée. Du coin de l’œil, je vis une forme dévaler depuis les escaliers, non depuis la rambarde. Steinar était droit sur sa trajectoire. L'un de des deux révos que nous poursuivions fonçait droit sur nous sous une forme hybride inattendue. Mi-homme mi-manchot, il glissait sur le ventre à une vitesse folle. Il s'éjecta alors pour s'envoler, pied en avant, accompagnant son geste d'un cri de ninja. Alors que nous préparions à le recevoir comme il se doit, la double porte qui nous faisait face explosa dans un fracas assourdissant. Probablement le second révo. Je ne savais plus où donner de la tête.

Une fois les débris de la porte tombés au sol, c'est un ours immense qui fit son apparition. Il fonçait droit vers moi. En quelques secondes à peine, il se dressait droit devant moi.  Et me faucha tel une vulgaire mauvaise herbe. Je fus projeté plusieurs mètres en arrière. Mon envolée fut stoppée net par l'un des murs du château. Je me relevais difficilement, sonné par le choc. Le regard embué, il me semblait apercevoir Steinar aux prises avec l'homme pingouin. L'homme qui venait de me frapper était sans aucun doute un zoan. Aucun animal n'aurait pu développer une telle précision dans son geste. Il fallait réagir vite, avant que l'ours ne s'abatte à nouveau sur moi. Le combat au corps à corps était du suicide. Il fallait que je reste à distance. Et j'avais de quoi mater cet ours rebelle.

Comme à mon habitude, je sortis mon aiguille fétiche, avant de m'entailler la paume de la main. Mon sang s'écoulait goutte à goutte sur le sol. D'un geste ferme, tout en fixant la bête droit dans les yeux, le défiant du regard, je formais dans ma main un fouet de sang.

« J'adore le cirque... pas toi? Je vais te montrer comment on dresse les animaux récalcitrants comme toi. »

Je commençais à agiter le fouet au dessus de ma tête, attendant les réactions du zoan. Voyant qu'il m'observait, sans ménagement, je lançais mon arme vers lui. Multipliant les coups, visant les membres, à gauche puis à droite, je l'attaquais tout en faisant tout mon possible pour le garder à distance. J'arriverais sûrement ainsi à le lacérer et l'épuiser suffisamment pour qu'il reprenne sa forme humaine.

Le fouet claquait aussi frénétiquement que violemment. L'ours esquivait ici et là quelques coups, le faisant danser sur un tempo sanglant. Mais la plupart des coups faisaient mouche, lacérants les membres de l'animal. J'arrivais à le tenir à distance, le fatiguant comme je le voulais. Le révo, sous cette forme, ne faisait pas le poids, il n'avait d'autre choix que de changer de tactique si il ne voulait pas finir en cage. Contre sa force brut, je n'avais aucune chance, mais ma stratégie fonctionnait à merveille, et il prit sa forme hybride, mi-homme, mi-ours. Mon adversaire perdait de sa bestialité, mais gagnait en vivacité et intelligence. Il allait probablement me poser des problèmes différents désormais, mais il serait une cible plus accessible pour mes capacités.

Mais gagner en vivacité, c'était peu dire. Alors que j'arrêtais mes offensives, observant le changement de forme de Caliss, je ne vis pas venir l'attaque. Il se rua sur moi, en un éclair il me faisait face. Sous cette forme, il me surplombait d'une bonne tête. Et sous la surprise, je n'eus pas le temps de réagir au puissant coup qui vint me déchirer l'abdomen, me propulsant violemment plusieurs mètres en arrière. Je percutais le sol à une vitesse impressionnante. Reprenant mes esprits, un goût de sang dans la bouche, j'ouvrais les yeux pour voir que celui qui m'avait envoyé valdinguer se trouver désormais debout au dessus de moi. L'air sûr de lui, il me toisait, probablement certain d'en finir rapidement avec moi.

Je profitais alors de son sentiment de supériorité pour préparer ma contre attaque. L'entaille qu'il m'avait faite au torse avec ses griffes allait me profiter plus qu'à lui. M'affaiblissant, elle m'offrait néanmoins une source de sang frais pour retourner la situation. Je formais, aussi discrètement que possible, deux faux sur l'extérieur de mes avant-bras. Il me fallait agir, le temps d'une seconde, le révo jeta un coup d’œil à son second aux prises avec Steinar. Mes faux sectionnèrent les chevilles de mon adversaire. Dans un cri de douleur, il tomba genoux à terre. Les ligaments ne remplissaient plus leur objectif. Me relevant d'un bond, c’était à mon tour de dominer les débats. Le capitaine révolutionnaire ne comptait pas abandonner. Clairement diminué, son regard traduisait pourtant encore une détermination hors du commun.

« Je ne suis pas le genre de Marine à tuer ses cibles... enfin sauf si tu m'y obliges. Je te laisse le choix de rendre les armes par toi même, ou je t'y forcerai. »

Le zoan tenta de se relever, comme un signe de défi à mes propos, mais il était désormais impossible pour lui de tenir debout. Sans attendre qu'il reprenne en vigueur, je créais trois anneaux de sang que je dilatais pour l'entourer avant de refermer l'emprise sur lui. En l'espace d'une seconde, l'entrave s'était resserrée, bloquant les gestes et toute tentative de fuite de Caliss. Enragé, il tentait de toutes ses forces de se libérer, mais d'un geste sec et vif, je le frappais à l'arrière du crâne pour lui offrir une longue sieste, le gardant en vie.

Il ne restait plus qu'à le ramener au navire et récupérer nos hommes. Je me retournais alors vers Steinar. S'en était-il sorti avec l'homme pingouin ? J'avais usé beaucoup d'énergie, et puisé dans les pouvoirs de mon fruit. La fatigue me guettait, mais le peu que je connaissais du Vykingar me laissait croire qu'il s'était certainement débarrassé sans mal de son adversaire.